i like your face (despite your nose)

On naît tous avec un don particulier qu’on cultive ou qu’on abandonne. Il suffit de comprendre ce qu’est ce don suffisamment tôt pour s’y consacrer, et c’est peut-être là que repose toutes la différence entre les personnes extraordinaires et les personnes ordinaires. Du Ho le remarque avec ses parents : sa mère est une force de la nature, un ingénieur qui a fait ses preuves au fil du temps et qui excelle dans son milieu, et son père est un chirurgien qui magne le scalpel comme s’il était né avec. Il y a une différence. Il y a une lueur dans leurs orbes qu’on peut remarquer quand ils discutent de leurs métiers et qu’on ne trouve pas chez les autres. L’Extraordinaire est une chose de bien vague mais à la fois spécifique et atteignable. L’Extraordinaire est ce don que dieu nous confie avant de nous mettre sur terre.

Ses parents lui avaient confiée la tâche de découvrir son potentiel sans jamais trop insister. Il était difficile pour elle de comprendre le concept au début, même si ses parents semblaient vaguement fiers et satisfaits de ses efforts. Il lui semblait que son aise avec le côté académique de la vie répondait pas mal à leurs attentes ; sa mère s’était même mise à pleurer de joie quand on lui offrit de faire sauter une classe à Du Ho pour qu’elle trouve plus de challenge dans son apprentissage, lui parlant d’ailleurs d’une potentielle mémoire photographique ou un truc du genre. Du Ho n’avait pas tant d’intérêt à écouter sa mère lui expliquer à quel point il était indispensable d’exceller dans la vie, ou d’à quel point elle était fière d’elle – mais ça devait être une bonne chose, car elle en parlait à absolument tout le monde, avec un sourire étincelant et tout le bonheur du monde ! Bwerk. Elle comprenait l’enthousiasme de celle-ci mais bwerk. Ce qu’elle ne comprenait pas par contre c’est ce détachement perpétuel qu’elle éprouvait envers ses victoires personnelles. Elle était certaine qu’elle devrait se sentir un minimum plus contente d’elle-même. Alors, honnêtement, pourquoi rien de cela n’avait goût de l’Extraordinaire à ses yeux ?

« Et c’est donc pour ça que tu comptes refuser les offres de Havard Medical Faculty et M.I.T. ? Pour prendre le temps de voyager, et de ‘te découvrir’ ? »

Du Ho prit une fritte entre ses lèvres, lâchant un « oui » avant de la mâcher. Elle regarda à côté et surprit une jeune fille la dévisager timidement. Elle lui jeta un coup d’œil et un sourire et celle-ci se retourna tantôt vers son petit-copain, embarrassée.

« Je sais que t’es confuse. Tu n’as que 18 ans et tu es déjà sur le point d’intégrer des universités hors du commun, » la mère commença puis pausa, scrutant son enfant qui flirtait avec le couple à côté d’elles d’un regard irrité. Elle prit un bout de tissu froissé de son plat et le jeta sur elle. « Mais concentre toi ! » Fit elle, exaspérée. « Je peux te dire, moi, qui tu es. Tu es quelqu’un d’extraordinaire – ce n’est pas tout le monde qui peut prendre un scalpel et sauver des vies. Ce n’est pas tout le monde qui peut participer à la révolution technologique de notre époque. Tu n’as pas besoin de perdre du temps. »

« Alors pourquoi je n’ai pas l’impression de l’être ? » Lança le jeune fille en retour. Elle se redressa dans sa chaise. « Pourquoi je ne me sens pas extraordinaire ? Pourquoi j’ai l’impression que – pourquoi j’ai l’impression d’être terriblement malheureuse ? »

L’aînée l’étudia quelques secondes, ses yeux légèrement rouges. « C’est en rapport avec ton père, c’est ça ? »

« Non, » Du Ho gémit avec mépris, serrant sa mâchoire. « Je ne laisserais jamais ce con foirer à nos vies. Plus maintenant. »

« Alors pourquoi tu fais ça ? »

« J’ai juste... » Elle haussa des épaules, secoua la tête d’un air abattu. Elle prit le temps de confectionner ses mots, de les tourner dans sa bouche, mais ça ne servait à rien. « J’ai juste envie de comprendre. J’ai juste envie d’être heureuse, » expliqua-t-elle d’une petite voix. « Je n’ai plus envie de me sentir si confuse. »

Il n’y avait aucune consigne qui lui expliquerait comment comprendre toutes ces émotions qui se fondaient et se confondaient en elle et elle a toujours été quelqu’un de méthodique.

La jeune mère prit une gorgée de sa boisson puis se redressa à son tour. Le silence régna quelques secondes encore avant qu’il ne fut brisé par celle-ci. « Une année – et tu ne refuses pas les offres, tu les reportes pour l’an prochain. » Quand elle remarqua le sourire qui commençait tout juste à s’élargir sur les lèvres de sa petite fille elle continua. « Et tu m’appelles deux fois par mois. Tu vas me faire le plaisir de bien gérer ton argent. Tu ne vas pas te mettre dans des situations impossibles et surtout, surtout, tu vas prendre bien soin de toi et tu vas me revenir heureuse. On est d’accord ? »

Du Ho rit, maintenant soulagée et un peu moins ankylosée. Elle déglutit, « oui. Oui, on est d’accord. »